2009年6月15日月曜日

Hidetaka Ishida « L’écriture japonaise de Roland Barthes », in Empreintes de Roland Barthes, sous la direction de Daniel Bougnoux, éd. Cécile Défaut ⁄ INA, 2009, pp. 85-95



Ecriture japonaise de Roland Barthes

Par Hidetaka Ishida

0 Exergue

Je vais mettre en exergue de ce petit exposé ce dessin de Roland Barthes, que nous avons exposé à notre univesité à Tokyo lors de l’Exposition « Musique des couleurs,bonheur de la main -des dessins de Roland Barthes- » il y a quatre ans.
Ceci est  pour avancer une hypothèse que faire mimésis d’une autre écriture, d’autres mains, d’autres gestes, aurait constitué le cœur même du projet de R.B. de la dernière période. Cela reste à démontrer dans mon propos d’aujourd’hui à travers une relecture de son Empire des signes.

1Critique

Longtemps j’ai été critique, assez sévèrement, à l’Empire des signes.
Barthes n’a rien compris au symbolisme japonais, disais-je, il n’a rien compris à la « vie des signes » des Japonais, pensais-je ; et j’écrivis un article intitulé « Lecture japonaise de Roland Barthes », qui se fit citer par certains naguère.
 Auto-critique et « Ecriture japonaise »
Aujourd’hui, j’intitule mon topos « Ecriture japonaise de Roland Barthes », pour vous livrer une version euphorique de ma réflexion, au lieu de vous navrer par la répétition dysphorique d’antan. Si la lecture japonaise de R.B. (ou la lecture par Barthes d’un Japon ) ne m’avait pas totalement convaincu, son « écriture japonaise » me semble très intéressante, comme le montre son ébauche que je viens de mettre en exergue.

2 Euphorie donc : une autre écriture…

 « Le Japon l’a mis en situation d’écriture », dit-il.
En effet , la question centrale du livre consisterait en ceci :
Comment peut-on poser une question de l’écriture à l’autre ?
Non, pas la question d’autre langue, d’autre système ou d’univers symboliques, mais bien la question d’écriture.
A-t-on jamais su poser véritablement cette question ? Qu’est-ce en effet que cette question d’une écriture autre, d’un autre écriture ?
Car R.B. rêve à écrire comme à la japonaise... : juste une mimésis de l’autre écriture…


3. Mais alors la photographie ?

J’avais annoncé « la photographie japonaise entre l’indiciel et le symbolique » comme titre de mon exposé.
« L’auteur n’a jamais, en aucun sens, photographié le Japon », écrit-il.
Je ne nie pas cela ; mais je trace autrement la graphie de la photo : à savoir, si l’on suit l’interprétance « symbolique » des photos montrées par R.B. dans le livre, on obtiendrait par exemple pour les photos de l’acteur Funaki Kazuo de la page de garde et à la page finale, quelque chose comme ceci :

Funaki Kazuo acteur chanteur dans le rôle de Tairano Atstumori dans le Taiga Drama photo de star (vous pouvez faire la même chose avec un Jonhny Hallday) : representamen symbolique


 « Au sourire près … », toutefois..on peut suire la « graphie indicielle » voire les « empreintes »…


Mais si l’on suit le sourire, et le visage, en empruntant l’ « intérprétance indicielle ».., le contact au niveau d’indice.., alors on peut suivre la « graphie » indicielle des photos en remarquant les « empreintes » de R.B.




4 Suspension de la parole et le parti pris des gestes..

On s’est longtemps trompés de référence barthésienne : nous aurions eu tort d’entendre son projet sémiotique selon Saussure, il fallait la prendre à la manière Leroi-Gourhanienne.
Barthes suspend la parole et re-marque les gestes ;
 Ôtons la parole à la face, et décrivons juste un visage sans parole, les yeux cernés dissimulant les regards, les mains et les gestes, et bien sûr les graphies multiples.

Opaciser le couplage « face-parole » au profit de celui « main-graphie » ; la photoGRAPHIE indicielle s’installe ainsi dans l’iterstice – silences – de communication.

能面
子供の顔

5 Et l’écriture mise à nu par la photoGRAPHIE même…

Pour faire remarquer le mouvement de l’écriture, il faut retarder l’avènement , l’occurrence du sens, différer, l’écriture est la différance, bien sûr avec a ; suivre les tracés du pinceau, même celui tenu par une étudiante, et lorsqu’à la fin, le sens apparaît c’est le « Mu » , le « vide » du signifié transcendental..
l’écriture est un tracé – différance donc – retardement du sens, cette temporalité du geste et du corps, que l’avènement final du sens de la parole n’aurait pu réduire.Il faut que le sens soit vide, pour qu’on puisse suivre ce tracé.
« où s’opère un certain ébranlement de la personne, un renversement des anciennes lectures, une secousse du sens, … », R.B. parle de satori qui « fait vaciller vaciller la connaissance, le sujet »

C’est ce tracé de l’écriture qui est mis à nu ici par la PhotoGraphie.

6 Barthes se met à s’écrire à la trace de l’écriture autre..

 « Où commence l’écriture, où commence la peinture ? »
Lui même se met à écrire à pinceau et à l’encre
Une fois de plus , c’est ce geste qui trace, qui est re-tracé.. suivant les gestes culinaires ou urbains.

« il se trouve que dans ce pays (le Japon), l’empire des signifiants est si vaste, il excède à tel point la parole, que l’échange des signes reste d’une richesse, d’une mobilité, d’une subtilité fascinantes en dépit de l’opacité de la langue, parfois même grâce à cette opacité . La raison en est que là-bas le corps existe, se déploie, agit, se donne, sans hystérie, sans narcissisme, mais selon un pur projet érotique – quoique subtilement discret. »
« Fixer un rendez-vous(par gestes, dessins, noms propres) prend sans doute une heure .. » dit-il.

7 Réfléchissons..

Aujourd’hui, nous n’aurons pas le temps de poursuivre le « projet érotique » de R.B., bien malheureusement.
J’en ferai état plus en détails dans mon exposé écrit.

En abandonnant la lecture linéraire, commençons la discussion sur ce qu’en est de l’écriture en question.

Dans cet «empire des signifiants », nous sommes à l’opposé du « proto-géomètre » husserlien. La « ville » n’est pas géométrique, le fameux  « centre vide de Tokyo » en dit long. Le plan n’est pas linéraire, on perd l’orientation. Mais n’est-ce pas à cause de l’écriture qui n’est pas linéaire, pas orthothétique du tout ? Et que lui, Barthes, anti-géomètre, il a abandonné le plan transcendantal : pas d’idéalité transcendentale ! Mais il préfèrerait tant à rester juste en immanence des signes : c’est son projet érotique.

地図 sans adresse



8 La différance de l’écriture :

 Barthes se met à écrire au pinceau, cela in-separera le scriptural et le figuratif ( « Où commence l’écriture, où commence la peinture »)
筆の写真
Ce fut sans doute l’intenté de ses derniers dessins( cf. ) : son « projet érotique ».
デッサン 2

Il se mettra aussi à écrire à la verticale, du moins il en rêve, comme nous avons vu au début.
Voici donc exercice de l’ « Ecriture japonaise » de Roland Barthes

Avec encore un effort, en forçant encore la dose de son pharmacon, s’il pouvait abandonner l’écriture « phonétique », ou tout au moins abandonner l’ « alphabet» au profit de hiragana, cette « Ecriture japonaise » aurait été parfaite !

9 Actualité de R.B.

Je crois profondément que l’actualité de Barthes réside dans cette « Ecriture japonaise ».
Aujourd’hui où l’écriture a atteint le stade de linéarisation absolue et que le temps de l’écriture épouse le temps réel, c’est-à-dire la temporalité nulle, l’écriture barthésienne est plus que jamais d’actualité.

Car la question de l’écriture phonétique orthothétique n’est pas tellement celle du phonocentrisme, mais bien celle de la linéarisation dont l’écriture numérique est la forme ultime.
On fait économie de tous les gestes et partant de toutes les politesses. Même les visages font l’objet de processing informatique.
Même les Japonais tape au clavier alphabétique. Même les Chinois écrivent à l’horizontale.
Et ce n’est pas bien du tout !

Il faut écrire comme Roland Barthes, à la main, au pinceau et à papier, à la verticale de préférence, en prenant du temps de différance, c’est sans doute là la leçon d’écriture de Roland Barthes .

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